dimanche 22 mai 2016

SÉBASTIEN HERVOUET et JULES RENARD nous interprètent TROP, C'EST PAS ENCORE ASSEZ









                     Un journal est par nature fragmenté. Les jours tombent, trop, sur la couverture dont Sébastien Hervouet a enveloppé un morceau du Journal de Renard.
             Celui-ci l’est plus encore car Mme Renard, héritière de l’écrivain, a égorgé et fait disparaître quelques vilains petits canards de la basse-cour littéraire de son mari.
              Il l’est encore encore plus parce que Jules Renard l’était lui-même, regardant toujours dans deux sens à la fois, tiraillé par des contraires, éclatant d’esprit et de contradictions.
C’est sur cette tête éclatée, stratification de présence et de manque que Sébastien Hervouet a décidé d’ouvrir son livre.


















           Alors que depuis quelques temps, "trop" remplace "très" pour exprimer le chamboulement affectif qu’un petit plaisir inflige à de jeunes natures, Renard fait de "trop" le trope majeur de sa rhétorique retorse.
           Ça se voit dès le livre pris en main, le mot "trop", collé sur la couverture, découpé dans un de ces journaux imprimés trop lus pour nourrir le journal si bien écrit. 

           C'est d'ailleurs à ces journaux que Renard lisait tous avidement chaque matin, à la recherche du parle-t-on-de-moi que les couvertures doivent tout ce qui s'y lit, et le ton cuivré des trompettes de la renommée. 


TROP, TROP, TROP NEUF FOIS TROP. À moins que...
              Les feuillets du Journal de Jules Renard choisis par Sébastien Hervouet, écrits du 29 novembre 1894 au 1 janvier 1895 contiennent à la fois le doute extrême et l'affirmation extrême de l'écrivain, sur lui et sur son oeuvre. Il y énumère ce qu'il a trop voulu et ce qu'il a trop peu fait. 

 Trop parlé de Pascal, Montaigne et Shakespeare, 
et pas assez lu Shakespeare, Montaigne, Pascal. ...

Trop dit "le bien que je pense..." 
au lieu de "le mal que je pense..." 

               Un bilan tragique et ambitieux. A 30 ans, Renard est lucide et défiant comme un vieux blaireau cacochyme, mais fringant et lumineux comme une fusée éclairante.
               Il était inévitable que Sébastien Hervouet tombe là dessus et en fasse son miel.
               Et hop, dans la pochette!






             N'empêche qu'au verso, la légion d'honneur, dont la médaille est figurée par un rond de cuir, comme celle donnée à tant de fonctionnaires de l'écriture, vient cingler de ses traits rouges cette oeuvre pleine de cicatrices.



              Au milieu d'espèces d'empreintes qui évoquent à la fois les bleus laissés par les coups de la vie et l'éponge que Renard, avec sa gueule de boxeur, s'est obstinément refusé à jeter. 
              Et de cuvettes de gravures absentes, comme les traces qu'auraient laissées des livres lourds et incisifs. 



            Il y a donc, comme presque toujours (casisiempre) dans les gravures de Sébastien Hervouet un mélange de symbolisme né d'une pudeur devenue une esthétique, et d'expressionnisme direct et sûr de lui.




              Cela permet d'exprimer tout, et de ne rien sur-jouer. Ces "illustrations" (help! si quelqu'un sait comment éviter ce mot inadapté dans le cas d'un livre d'artiste...) mélangent la litote et le naturalisme, le sourire pincé et l'histoire naturelle.

             Autre appel au valeureux lecteur : comment dit-on "formes brèves" quand on parle d'arts plastiques, comment dit-on "laconisme" quand on parle des gravures de Sébastien Hervouet? 
Dans quelques décennies, on  parlera peut-être d'hervouetisme, mais en attendant, je dis quoi?















Bon, allez, il faut quand même dire que le livre mesure 25 x 18 cm, 
et qu'il n'en existe que 
9 exemplaires...











PS : Le livre est sorti il y a des semaines, mais le chroniqueur léthargique a pris bien du retard... et ne se réveille que maintenant.

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