Luis Casinada
avait un peu suspendu ses parutions.
Pas totalement, puisque Sébastien Hervouet continuait à publier des textes fétiches dans des pochettes ipso fecit.
Nous suspendons cette suspension,
et lançons une collection nouvelle....
LA COLLECTION SUSPENDUE
Nouvelle maquette, avec transparence, et lévitation du livre en équilibre suspendu derrière cette transparence
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Livre suspendu dans son écrin lui-même suspendu au mur. |
Même les photos sont parfois difficile pour expliciter les imaginations du team Casinada.
Une description scientifique vous aiderait-elle?
Un livre, format oblong horizontal (21 x 16 cm), brochage non apparent masqué par le rabat de couverture illustré.
Bizarrement, si le livre se consulte en l'ouvrant, comme un livre normal,
de droite à gauche, la couverture s'ouvre verticalement.
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La couverture soulevée, le petit livre vous lirez |
Et ce corps de livre est suspendu derrière un
capot en plexiglas
destiné à être suspendu au mur
comme le cadre le plus commun.
Bref, un tableau qui contient un livre qui se balance derrière la vitre.
Et bien sûr, si la couverture du livre est illustrée,
la vitre de plexi l'est aussi.
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L'écran monétaire |
La maquette a été un peu compliquée à penser et à faire (hein, Sébastien?), mais elle très facile à voir et très agréable à regarder.
Si j'osais, je dirais que j'aime beaucoup ce qu'on a fait, et que cette collection démarre du feu de dieu, et qu'au vu du premier capolavoro réalisé, c'est la joie et l'espérance dans nos chaumières. (Finalement, j'ose).
Une fois cette maquette pensée et prototypée, nous avons été entrainés inéluctablement vers le chef-d'oeuvre par
deux artistes liés à Montpellier
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Et, en 4e de couverture, la reconnaissance de "Dettes" |
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L'argent, la mort... |
François RABELAIS
nous a communiqué un texte sur la DETTE, qui doit s'intégrer dans un vaste ensemble nommé Pantagruel. Cet extrait est peut-être
un peu trop journalistique et tributaire de la situation économique et
financière mondiale actuelle pour intéresser les générations futures. Mais
François RABELAIS, c'est quand même une belle plume qu'il est difficile à
un éditeur de refuser, et comme je le lui disais dimanche au Jardin des
Plantes, c'est le printemps, avançons gaiement.
Yann DUMOGET
lui, a déjà beaucoup travaillé dans des pays dramatiquement endettés, et dernièrement en Grèce.
Alors, le crédit, ça le connaît.
Il nous a d'abord emprunté 5 Euros. Ou plutôt, 20 fois 5 €. En billets neufs, on se demande bien pourquoi parce qu'il les a troués, tamponnés, et gribouillés : la porte est fermée pour cause de faillite. Les marchands du temple ont barré la lourde du Parthénon.
Tels qu'ils sont, ces billets ouvrent le livre. Témoins archéologiques à la stratigraphie incertaine : passé, présent ou futur...? Superbe frontispice !
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Mettre la clé sous la porte pour cause de faillite. |
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Quau tèn lo libre tèn la clau que de moneda lo desliùre |
Et comme si un sacrilège ne suffisait pas, ce faux-jeton s'est mis à faire des faux billets. Comme si le FMI faisait des faux Dumoget ! À chacun son métier et les banques seront bien gardées.
{Note de bas de page : je ne suis pas sûr que le FMI ne fabrique pas des faux Dumoget. Ce serait en tout cas, à la longue, rentable}
Surtout qu'en faux-monnayeur, Dumoget, c'est pas André Gide!
Ça ressemble pas beaucoup, même quand il les colorie un par un, à la main.
C'est du beau travail, je dis pas, mais côté ressemblance, c'est zéro zéro zéro, "sans franc" comme il dit.
Enfin, l'essentiel, c'est que des artistes de maintenant s'intéressent et fassent écho à des problèmes de maintenant. Et les problèmes de maintenant, c'est du côté de la finance que ça se passe.
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Lucifer save the Queen ? |
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In Devil we trust... |
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L'Esprit d'Eloi, patron des orfèvres et des coffre-forts. |
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Femen, Efenne ou Main de fer ? Qui guide la peuple? |
Mais le plus beau, (et ce n'est pas une façon de parler),
ce sont les couvertures du livre.
Là, c'est toute la monnaitaillerie mondiale qui est mise à contribution.
Des billets de banque (de toutes les banques) découpés, recollés et mis en forme.
Constatation : tous les pays fignolent leurs billets. Il faut rendre la monnaie désirable, assez belle (belle comme un sou neuf!) pour qu'on lui sacrifie tout sans discuter.
Il y a là une matière première à utiliser, et Yann Dumoget sait le faire.
Avec des fioritures (un aigri dirait : des rognures) de vrais billets,
il élève des mausolées à la dette mondiale.
Chaque pays contribue à la beauté de l'édifice grâce à sa monnaie déchiquetée, démonétisée à son tour après avoir déchiqueté et démonétisé tant de vies humaines.
Et comme les chants désespérés sont les chants les plus beaux, ces 20 couvertures sont toutes des merveilles.
Regardez :
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Le veau d'or est toujours debout, d'un bout du monde à l'autre bout... |
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En gros et en détail:
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Le mur de l'argent décliné en 20 briques - livres |
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D'un peu plus près |
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Ajouter une légende |
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Power flower ou Power flouze ? |
Il y a
20 EXEMPLAIRES,
tous signés et numérotés
par Yann DUMOGET,
mais pas par Rabelais.
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Yann DUMOGET signe Dettes, co-réalisé avec François RABELAIS |
Pour ce livre-tableau contenant 6 oeuvres originales et uniques
de Yann Dumoget
il ne vous en coûtera que 200 €
+ 5 € pour le petit frontispice,
soit 205 €
Mais on peut vous faire crédit....
Ah! j'allais oublier de vous donner le texte de RABELAIS.
le voici, en orthographe modernisée :
Mais, demanda
Pantagruel, quand en aurez-vous fini avec les dettes?
- Aux calendes grecques, répondit Panurge, lorsque tout le
monde sera content, quand vous serez héritier de vous même. Dieu me garde d'en
avoir fini avec elles, car je ne trouverais plus personne pour me prêter un
denier. Qui le soir ne laisse levain, jamais ne fera lever pâte au matin. Devez-vous
de l'argent à quelqu'un ? Par lui sera continuellement prié Dieu de vous
donner une bonne, longue et heureuse vie dans la crainte de ne pas récupérer
son dû; toujours du bien de vous dira en toutes compagnies. Pour vous renflouer
il vous cherchera toujours de nouveaux prêteurs pour qu’avec la terre d’autrui vous
combliez son fossé.
Quand jadis en Gaule, par la coutume des druides, les serfs,
valets et domestiques étaient brûlés tout vifs aux funérailles et obsèques de
leurs maîtres et seigneurs, n'avaient-ils pas une belle peur que leurs maîtres et
seigneurs ne meurent, puisqu’il fallait de force mourir avec eux ? Ne
priaient-ils pas continuellement leur dieu Mercure, ainsi que Dis, le père des
écus, de les conserver longtemps en santé? N'étaient-ils pas soigneux de les
bien traiter et servir, puisqu'ils pouvaient vivre ensemble au moins jusqu'à la
mort ? Croyez bien que vos créanciers prieront Dieu que vous viviez avec plus
grande dévotion, craindront que vous ne mouriez, d'autant que plus aiment la
manche que le bras et la bourse plus que la vie. Témoins les usuriers de
Landerousse, qui naguère se pendirent en voyant baisser le prix des blés et des
vins et revenir le bon temps.
Pantagruel ne répondant, continua Panurge :
Vrai crapaud ! Je
pense que vous me poussez à bout, en me reprochant mes dettes et créanciers.
Parbleu ! Je me croyais par cela auguste, révérend et redoutable parce qu’en
dépit de l'opinion de tous les philosophes, (qui disent que rien ne naît de
rien), n’ayant rien ni matière première, j'étais créateur et fabricateur.
J'avais créé quoi? Tant de beaux et bons créanciers. Les
créanciers sont (je le maintiens jusqu'au bûcher, exclusivement) créatures
belles et bonnes. Qui ne prête rien est une nature laide et mauvaise créature
du vilain diable d'enfer.
Et j'avais fait quoi ? Des dettes. O chose rare et digne des
temps antiques ! Des dettes, dis-je, excédant le nombre de syllabes résultant
de l'accouplement de toutes les consonnes avec les voyelles, jadis calculé et
compté par le noble Xénocrate. Si c'est à l'abondance des créanciers que vous
jugez de la perfection des débiteurs, vous ne faites pas d'erreur
d'arithmétique pratique.
Pensez si je suis content, quand, tous les matins, autour de
moi je vois ces créanciers si humbles, serviables et prodigues en révérences !
et quand je note que, si j'ai l'air plus accueillant et si je fais à l'un
meilleure figure qu'aux autres, le paillard pense avoir le premier son affaire
réglée, pense être le premier en date, et prend mon sourire pour de l'argent
comptant, je crois encore jouer, dans la Passion de Saumur, le Dieu accompagné
des anges et chérubins. Ce sont mes candidats, mes parasites, mes salueurs, mes
diseurs de bonjours et de discours perpétuels.
Et je pensais que la montagne de Vertu héroïque décrite par
Hésiode (je l'ai lu en première année de licence) était faite de dettes,
montagne qui semble être le but de tous les désirs des humains. Mais peu y
montent à cause de la difficulté du chemin, quand je vois aujourd'hui tout le
monde en désir fervent et strident appétit de faire toujours dettes et
créanciers nouveaux.
Toutefois, n'est pas débiteur qui veut et ne se fait pas de
créanciers qui le veut. Et vous voulez me débouter de cette félicité souveraine
? Vous me demandez quand j'en aurai fini avec les dettes !
Il y a bien pire; je me voue à saint Babolin, le bon saint,
si, toute ma vie, je n'ai pas considéré que les dettes constituaient une sorte
de connexion et de liaison des cieux et de la terre, un moyen unique de
conservation de la race humaine - je veux dire par là sans lequel tous les
humains périraient bientôt -, et qu'elles pourraient bien être cette grande âme
de l'univers, qui selon les académiques donne la vie à toutes choses.
Pour qu’il en soit ainsi, représentez-vous avec un esprit
serein l'image idéale d'un monde (prenez, si bon vous semble, le trentième de
ceux qu'imaginait le philosophe Métrodore ou le soixante-dix-huitième de Pétrone),
dans lequel il n'y aurait nul débiteur ou créancier. Un monde sans
dettes ! Là, il n'y aura plus pour les astres de cours régulier : ils
seront tous détraqués. Jupiter, ne s'estimant pas le débiteur de Saturne, le
dépossédera de sa sphère, et avec se chaine homérique suspendra les intelligences,
dieux, cieux, démons, génies, héros, diables, terre, mer, tous les éléments.
Saturne s'alliera à Mars, et ils mettront tout ce monde sens dessus dessous.
Mercure ne voudra pas se soumettre aux autres; il ne sera plus leur Camille,
comme on l'appelait en langue étrusque s’il n'est en rien leur débiteur. Vénus
ne sera pas vénérée, car elle n'aura rien prêté. La lune restera sanglante et
ténébreuse : pourquoi le soleil lui dispenserait-il sa lumière ? il n'y serait
tenu en rien. Le soleil ne luirait pas sur la terre, les astres n'y
diffuseraient pas de bonne influence si la terre cessait de leur prêter de la
nourriture par vapeurs et exhalaisons, qui alimentent les étoiles, comme le
disait Héraclite, le prouvaient les stoïciens et le répétait Cicéron.
Entre les éléments il n'y aurait ni symbolisation, ni
interaction, ni aucune transmutation : l'un ne se considérerant pas l'obligé de
l'autre, il ne lui prête rien. De la terre ne naîtrait pas l'eau; l'eau ne serait
pas changée en air, de l'air ne naîtrait pas le feu, le feu ne réchaufferait
pas la terre. La terre ne produirait que des monstres, Titans, Aloïdes, Géants;
il n'y pleuvrait pluie, n'y luirait lumière, n'y venterait vent; il n'y aurait
ni été ni automne. Lucifer se libérerait de ses chaînes et, sortant du tréfonds
de l'enfer avec les Furies, les Peines et les Diables cornus, voudrait dénicher
des cieux tous les dieux, ceux des grands peuples comme ceux des petits.
Ce monde qui ne prêtera rien ne sera qu'une chiennerie, une
brigue plus aberrante que celle du recteur de Paris, une diablerie plus confuse
que celles des jeux de Doué. Entre les humains, l’un ne sauvera plus l’autre;
il aura beau crier : "A l'aide ! au feu ! à l'eau ! au meurtre !"
personne n'ira à son secours. Pourquoi ? Il n'avait rien prêté, on ne lui
devait rien. Cela ne gêne personne qu'il brûle, qu'il fasse naufrage, qu'il se
ruine, qu'il meure. Il ne prêtait rien, et sans doute n'aurait-il rien prêté
par la suite.
Bref, de ce monde seront bannies Foi, Espérance, Charité,
car les hommes sont nés pour aider et secourir les hommes. Leur succéderont
Défiance, Mépris, Rancune, et la cohorte de tous les maux, des malédictions et
des misères. Vous aurez tout lieu de penser que c'est là que Pandore aurait
versé sa bouteille. Les hommes seront des loups pour les hommes, loups-garous
et lutins, comme le furent Lycaon, Bellérophon, Nabuchodonosor ; des
brigands, assassins, empoisonneurs, malfaisants, mal pensants, malveillants, porteurs
de haine : chacun contre tous, comme Ismaël, comme Métabus, comme Timon, athénien
qui pour cette raison fut surnommé Misanthrope. Si bien qu’il serait dans la
nature plus facile d'élever des poissons dans l'air, de faire paître les cerfs
au fond de l'Océan, que de supporter cette truandaille de monde qui ne prête
rien. Par ma foi, je les hais bien !
Et si, sur le modèle de ce monde facheux et chagrin qui ne
prête rien, vous imaginez l'autre petit monde qui est l'homme, vous y trouverez
un terrible tintamarre. La tête ne voudra pas prêter la vue de ses yeux pour
guider les pieds et les mains. Les pieds ne daigneront pas la porter. Les mains
cesseront de travailler pour elle. Le cœur se fachera de tant battre pour le
pouls des membres, et il ne leur prêtera plus assistance. Le poumon ne lui
accordera pas le prêt de ses soufflets. Le foie ne lui enverra pas le sang pour
sa subsistance. La vessie ne voudra pas être débitrice des rognon. L'urine sera
supprimée. Le cerveau, considérant ce train dénaturé, se mettra en rêverie et
ne fera plus parvenir de sensation aux nerfs, ni de mouvement aux muscles. En
somme, dans ce monde déréglé, ne devant rien, ne prêtant rien, n’empruntant
rien, vous verrez une conspiration plus pernicieuse que celle qu'Esope a
représentée dans son apologue. Et il périra sans doute; et non seulement il
périra, mails il périra vite, fût-il Esculape lui-même. Et soudain le corps ira
en putréfaction; l’âme toute indignée prendra sa course à tous les diables, à
la poursuite de mon argent.
RABELAIS, Le Tiers Livre, chapitres III (1552). (orthographe
modernisée)
Photo de la sortie du livre au Jardin des Plantes de Montpellier. Au centre, Rabelais. A droite, Yann Dumoget (avec son pull-over jacard), entouré de ses éditeurs. En face, à gauche de la photo, des montpelliérains en costume traditionnel attendent la fin de l'allocution pour se précipiter sur les rares exemplaires du livre.